mardi 16 juin 2015

Lounis Aït Menguellet : «Je reviens sur scène pour mon public»

Lounis Aït Menguellet est plus déterminé et plus engagé que jamais après sa délicate intervention chirurgicale de l’hiver dernier. Dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à El Watan, il aborde plusieurs sujets. Avec sa légendaire humilité.


Comment va Lounis ?
Relativement, ça va. J’ai quand même subi une opération assez lourde, mais grâce à mon passé de sportif, je me suis bien défendu comme on dit. Le corps s’est bien défendu lui aussi, j’ai donc récupéré plus vite que prévu. J’espère que c’est vrai. (rires)
Une pensée en direction de votre public qui s’est beaucoup soucié de votre état de santé…
Mais bien sûr ! Mon public est ma raison d’être en tant qu’artiste. Et donc je le remercie. Je remercie également tous les gens qui se sont inquiétés. Je ferai tout pour qu’on continue un bon bout de chemin ensemble. J’espère que j’y arriverai.
(Rires). Merci à tous. J’ai été très touché par tous les gens qui se sont inquiétés et qui n’ont pas cessé de demander de mes nouvelles. Cela m’a aussi aidé à tenir le coup, parce que c’était quand même assez dur. Je dois dire aussi que j’ai eu un soutien continu de mon entourage aussi bien familial que de mes proches. Djafar, mon fils, ne m’a pas quitté d’une semelle, ma femme aussi. Cela m’a aidé à me remettre sur pied rapidement.
Malgré la maladie, vous avez quand même fait un gala aux Zénith le mois de janvier...
Oui, en fait je traîne ma maladie depuis déjà 5 ou 6 ans. J’ai une fuite mitrale et le cardiologue m’avait demandé de procéder à une opération d’urgence. En parallèle, il y avait un gala en préparation. Bien sûr, il était dangereux d’attendre. J’en ai parlé à mon médecin. Je voulais le gala d’abord  et l’hospitalisation ensuite. Il m’avait même fait la remarque en me disant : «Je vous parle d’une question de vie ou de mort et vous me parlez de gala !»  Eh bien, je suis monté sur scène d’abord. Il s’agissait pour moi de conscience professionnelle.
Au risque de votre santé ?

Bien que ce fut très risqué, je n’ai pas  reculé. Il était tout à fait normal que je le fasse parce que pratiquement toutes les places étaient vendues. Je me suis dit que je ne devais pas décevoir les gens qui avaient acheté les billets. Le contrat moral est pour moi plus important que le risque. Tant que je peux en prendre, pourquoi hésiter ? Quand on aime ce qu’on fait, quand on fait les choses sincèrement, on pense aux priorités uniquement. Et pour moi, ma priorité c’est de faire mon boulot, de le faire bien et advienne que pourra.
A la sortie de l’hôpital, il y a eu encore deux autres galas...
Après mon hospitalisation et les trois semaines de rééducation, j’ai fait le gala du 2 mai parce qu’il était prévu et je l’ai maintenu.  Car, comme on dit, quand on fait une chute de cheval, il faut tout de suite remonter au risque d’avoir peur. J’étais encore en convalescence, mais le gala s’était très bien passé. C’était en Suisse, le voyage était un peu long, mais supportable. Après, il y eu un autre le 23 mai, c’était encore mieux.

Avez-vous prévu des galas en Algérie ?
Oui. En Algérie aussi je vais continuer sur mon élan. Une tournée nationale d’une dizaine de galas est prévue. Je serai à Tizi Ouzou les 23 et 24 juin, à El Tarf le 26 juin, au Hilton (Alger) le 28, à la salle Atlas (Alger) les 29 et 30, à Tipasa le 6 juillet, à Saïda le 8 juillet, et le 11 juillet à Boumerdès. C’est une tournée spéciale pour le mois du Ramadhan.
Lounis est-il physiquement prêt et apte à assurer ses galas ?
Tout à fait.  Moi, je suis prêt, après on verra. Je ne suis pas inquiet.
Il y a une dizaine de galas, mais Lounis sera absent de «Constantine, capitale de la culture arabe»...
Ah ! Je ne me sens pas concerné. Avec tout le respect que j’ai pour les Arabes, je ne me sens pas concerné. Je ne comprends pas pourquoi on nous colle une autre identité. Je n’ai pas besoin d’une identité de rechange.
Désolé ! S’il y a des Algériens qui l’acceptent, tant mieux pour eux !
Est-ce que, dans ce sens, on vous a sollicité par des invitations officielles pour y participer ?
Oui, j’ai été sollicité et j’ai refusé. J’ai refusé parce que si ça avait été «Constantine, capitale de la culture algérienne» j’aurais sûrement accepté.  Il y a apparemment des Algériens qui ont honte de l’être. L’indépendance qui a été acquise de haute lutte est actuellement bradée. On a notre propre identité, l’histoire est claire. On est ce qu’on est.
On est ni moins bons, ni meilleurs que les autres. Je ne vois pas pourquoi je vais renier mon identité ! Je ne vois pas pourquoi je vais me prétendre arabe, turc, ou grec. Je respecte toutes les nationalités, toutes les identités, mais j’ai la mienne ! L’Algérie est assez riche, assez diverse pour faire quelque chose d’explosif.
S’ils avaient intitulé la manifestation «Constantine, capitale de la culture algérienne», le Chaoui, le Mozabite et tous les autres auraient apporté leurs particularités.
Car chaque région d’Algérie est un florilège de choses vraiment formidables. On est capable d’assumer quand même notre diversité sans animosité aucune. Je suis citoyen du monde avant tout.  
La culture algérienne, justement, à travers vos chansons a traversé les frontières à tel point qu’une jeune chanteuse de Finlande, Stina, a repris Thelt eyyam, une de vos chansons.
Quel sentiment cela vous inspire-t-il ?
Je suis très content non seulement pour ce que j’ai fait, mais je suis heureux de constater que notre culture fait partie intégrante de la culture universelle. C’est ce qui me fait plaisir. Quand une chanteuse comme Stina qui n’a strictement rien à voir et qui n’a absolument aucune affinité avec notre culture et notre langue arrive non seulement à  apprécier, mais à reproduire des chansons, pour moi c’est une preuve qu’on est dans l’universel.
Quelle est l’appréciation de Lounis sur la chanson algérienne en général et kabyle en particulier ?

Moi, je suis optimiste. C’est bien qu’on continue de produire. On finira par en sortir forcément de bonnes choses, mais si on n’a rien, il n’y aura rien. C’est ce qui assure la pérennité de la chanson. Concernant la chanson à texte, dans le monde entier elle existe, mais elle ne fait pas la règle, elle fait exception à la règle. On a besoin de tous les genres.
A votre avis, est-ce qu’Internet, notamment le piratage, ne freine pas la création ? Est-ce qu’il y a un manque à gagner pour l’artiste ainsi que pour l’éditeur ? Est-ce que cela n’est pas décourageant ?
Oui ! Mais il n’y a pas d’évolution sans son lot de choses négatives, c’est certain. Mais si on posait la question à l’envers : que deviendrait-on actuellement sans Internet ? Cela fait partie du progrès humain, avec forcément des inconvénients. C’est sûr qu’il y a un manque à gagner. Maintenant, c’est à l’édition de se mettre à jour, de chercher les procédés. Il y a des maisons d’édition qui gèrent déjà leurs catalogues par Internet et tout le monde s’y retrouve. Ce n’est pas facile, mais c’est faisable.
Concernant les droits d’auteur, j’estime que l’Office national des droits d’auteur (ONDA) est en train de faire un excellent travail pour endiguer cette histoire de piratage qui est très délicate.
Ce qui ramène vers une autre question : le plagiat. Notamment l’affaire de Cheb Khaled et Cheb Rabah. Quels commentaire faites-vous ?
Oh, pas grand-chose. Je suis contre le plagiat.
Mais la question que je me pose est la suivante : est-ce que c’est la chanson objet du litige (Didi, Ndlr) qui a rendu Khaled célèbre, ou c’est Khaled qui a rendu la chanson célèbre ? On ne se pose pas assez cette question. Parce que si cette chanson a été chantée par un illustre inconnu, je pense que Cheb Rabah, que je ne connais pas, n’aurait pas intenté de procès parce que la chanson serait passée inaperçue.
En d’autres termes, s’il n’y avait pas Cheb Khaled et s’il n’avait pas chanté cette chanson, on n’aurait pas connu Cheb Rabah. Voyons  les choses à leur juste dimension : moi, je connais Cheb Khaled, c’est un chanteur qui a mérité sa célebrité aussi bien par sa voix, par ses choix de chansons. Je le respecte, mais bon, s’il y a eu plagiat je respecte aussi Cheb Rabah qui considère qu’il a été plagié.
Est-ce qu’il y a de nouveaux produits en chantier ?
Je n’ai pas de nouveaux produits. Le dernier album est sorti il y a moins d’une année. La composition et la création sont des choses que je ne contrôle pas.
Comment percevez-vous la situation politique, sociale et économique du pays ?
Franchement, je n’aime pas parler de choses que je ne maîtrise pas. J’encaisse les coups comme tout citoyen, je m’informe. On a d’excellents journaux comme El Watan pour nous informer. Je ne peux pas me considérer comme quelqu’un de très rompu à la politique.
La relation avec Djafar, ce n’est pas une relation père-fils, c’est plus que ça. C’est quoi au juste ?
C’est assez complexe. D’abord, il y a la relation père-fils, il y a une complicité. Ceci dit, ce n’est pas parce que Djafar est connu, mais tous ses frères et sœurs sont dans la même situation. C’est-à-dire que j’ai la chance d’avoir une relation priviligiée avec mes enfants. Mais la relation qui se voit, qui est connue, c’est celle que j’ai avec Djafar parce qu’il travaille avec moi.
Il travaille aussi sur sa carrière de son côté et, franchement, il m’est indispensable. Par exemple, j’ai enregistré le dernier album à la maison, je ne suis même pas rentré en studio, c’est lui qui s’est occupé des arrangements.
Il intervient non seulement sur le plan de la musique, mais aussi sur la gestion de votre  carrière ?
Absolument. Avoir son fils comme manager, c’est l’idéal, surtout quand on a les compétences pour ça.
Il gère totalement la carrière sur le plan médiatique, musical, instrumentation, etc. C’est lui qui gère les dates des tournées, les contacts. Son apport est déterminant.
EL WATAN

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