dimanche 26 avril 2015

Constantine, capitale de la culture arabe 2015 : Constantine, mémoire forteresse

Constantine au petit matin. La lumière naissante du soleil de mars adoucit les paysages. Elle confère une poésie tendre aux montagnes qui encadrent le Rhummel dans sa descente vers la capitale de l’Est algérien, lorsque les terres cultivées et les bois s’y rejoignent. Ils font ressurgir des souvenirs oubliés, tableaux vivants de la campagne punique, numide, romaine ou beylicale...
Gigantesque citadelle polygonale perchée sur un plateau rocheux, en forme de trapèze, Constantine est tout de contrastes en ses rues. Dès les premières heures de la matinée, la vie se répand lentement dans la ville. Un automobiliste, sans doute fatigué par une veillée trop longue, semble manquer de réflexe. Les autres le regardent d’un air amusé ou complice. Il est sept heures trente minutes : l’heure, il est vrai, n’est pas encore à l’irascibilité.
Peu à peu les rues s’animent, la fièvre monte. Les coups de klaxon redoublent. Près d’un feu rouge, deux motocyclistes s’insinuent adroitement entre les véhicules immobiles. Bientôt neuf heures : les terrasses des cafés s’emplissent des premières grappes humaines, les boutiques sont presque toutes ouvertes. Déjà, d’un trottoir à l’autre, fusent d’exubérantes et amicales interpellations.
Comment faire ? Flâner avec indolence dans le vieux centre de la ville ou s’essayer du coté du quartier patricien de Bellevue ? Tenter une incursion au Chalet-des-Pins ou se laisser charrier par l’impétueux flot humain de «Triq-j’dida» (nouvelle route) ? Dilemme...
Le choix est tout de même fixé : plutôt commencer en traversant le Rhummel par le pont de Sidi-M’cid, toujours plus haut, vers l’azur, loin des contingences humaines. A l’instar des Pyramides et autre détroit de Corinthe qui sont comme des défis que se lancent les hommes à eux-mêmes, cet imposant ouvrage d’art est plus qu’un symbole. C’est le blason patenté de Constantine.
Dans le bleu de la nuit intense, quand l’or des nouvelles illuminations habille de l’intérieur sa structure géante, aérienne, nul ne peut résister à l’effet féerique de cette dentelle de métal et de lumière. Tant d’éclat, de légèreté et de majesté fascinent jusqu’au piéton de Constantine le plus blasé. Pour le visiteur se hissant jusqu’à ce point d’observation incomparable, la vue est exceptionnellement saisissante sur une bonne partie de la ville, laquelle apparaît comme un immense plan en relief, sur le plateau de Mansourah. A ses pieds, le Rhummel s’étire, millénaire, en dédales tortueux et gorges façonnées par l’écume du temps. Et par la non moins fréquente intervention de l’homme.

L’un des plus vieux tissus urbains d’Algérie
Sur l’autre versant de la ville, l’hôtel Panoramic surplombe la vallée. En contrebas, des enfants, bruyamment, disputent un match de football qui n’en finit pas. D’autres, dans un mince bras d’eau, poussent un radeau fait de petits madriers. Sur le côté gauche, accompagné d’un grand vacarme, un attroupement s’opère : un berger bloque la rue avec son troupeau de moutons.
Vers dix-sept heures, la ville s’anime davantage. Grondements sourds : la circulation bat son plein. C’est la sortie des bureaux. De longues processions de femmes et d’hommes, de retour du travail, se pressent vers les stations de bus, de tramway, ou accomplissent leurs dernières courses de la journée. Il aura fallu un bref moment avant que le regard soit rassuré d’avoir trouvé des repères familiers : la place de la Brèche, l’Hôtel De Ville, la Grande-Poste, l’hôtel Cirta...
C’est paradoxalement au crépuscule que Constantine révèle ses habitants. Des mouvements notables se dessinent dans la foule, toujours aussi compacte. A croire que les gens vivent dehors. Et comme par un heureux hasard, le Théâtre Régional affiche le spectacle de la soirée. Evénementiel. Sur les placettes de la vieille ville, les jeunes cherchent une place aux terrasses de café. Il nous faudra passer dans l’arrière-salle... La discussion s’engage. Thèmes favoris : d'abord le mémorable score réalisé par l’équipe de foot fanion aux dépens de sa malheureuse rivale du week-end dernier. ensuite l'événement phare de l'année, intitulé «Constantine 2015, capitale de la culture arabe». Et, depuis peu, le tramway, la nouvelle salle de spectacles ainsi que le fameux pont transrhummel dont la réception a été effectuée il y a déjà quelques mois. Une entreprise colossale qui, à l’image du viaduc du Ravin sauvage d’Alger, a commencé à transformer radicalement la périphérie de la ville.
Pour bien connaitre ce phénomène de «transformation», au demeurant lié à toutes les mégalopoles du monde, il faut connaître l’histoire intime de la ville, voire pénétrer jusque derrière les images stéréotypées qu’on a bien voulu donner d’elle, pour retrouver le contact avec ses énergies primordiales, son espace premier. A cet égard, peu de villes, sur le sol algérien, ont eu une situation aussi privilégiée, un destin aussi prestigieux. C’est que, avec l’un des plus vieux tissus urbains d’Algérie, il y a toujours eu de la «culture» à Constantine. Mais une culture qui, naguère, a été seulement un peu enfouie : d’abord sous le pavé sonore des différentes occupations étrangères, ensuite sous le bitume silencieux et amnésiant des années difficiles, un peu perdue dans la fumée des tuyaux d’échappement de l’après-guerre d’indépendance.
Et cette culture se promenait : avec Malek Haddad ou Rachid Boudjedra, sous la pluie, en «kachabiya», sous un soleil de plomb. Ou vivait en ermite, dans un deux pièces-cuisine. Elle murmurait un poème de Kateb Yacine, chantonnait un air du terroir, dans l’ex-Cafétéria estudiantine de l’ex-rue Rouhault-de-Fleury, ou dans ce bar-salon de la place de «La Pyramide». Quelquefois ce n’était qu’un frêle sourire sur les lèvres, une lueur dans les yeux de centaines de «Nedjma» au printemps. Elle fuyait à la fois la culture provinciale insipide ­— importée d’Egypte — et l’horrible ersatz «tartanisé» du stade Benabdelmalek, qu’à présent l’on fait passer pour authentiquement «malouf» et joyeusement «populaire». Car, tout en cherchant à savoir où l’on peut aller, il est bon se savoir aussi d’où l'on vient. Les origines, pour ainsi dire.

Cité élue ou destin capital ?
Or, pour ce qui est des origines de Constantine, il faut remonter loin, très loin dans le temps. Remonter jusqu’à l’aube de l’humanité. A l’époque préhistorique durant lesquels le vieux rocher abrita les hommes-singes du début de l’ère quaternaire, les hommes du Néanderthal et connut la civilisation mégalithique. D’ailleurs, de nombreux sites datant de cette époque ont été découverts dans la ville actuelle et dans ses environs. Le plus ancien, mis au jour sur le Plateau de Mansourah, en 1955, montre que cette région était habitée au début de l’ère quaternaire, comme en font foi les ossements d’hippopotames et les galets taillés qui y ont été trouvés. Les autres sites préhistoriques de la région sont la station en plein air de Djebel Ouahch, la Grotte des Ours et la Grotte aux Mouflons, toutes deux creusées dans la falaise qui supporte la colline de Sidi M’Cid, la Grotte aux Pigeons et de nombreux dolmens, mobilier témoin de la civilisation mégalithique.
Voila pour ce qui est des origines. Maintenant, si nous savons que c’est à l’époque punique que Constantine prit le nom de Cirta, nous ne pouvons ignorer qu’elle joua un rôle tout aussi important à l’époque des royaumes numides. Elle fut, en effet, capitale de Syphax, «aguellid» (roi) des Massaesyles, puis celle de Massinissa, «aguellid» du royaume massyle  –qui réussit à s’en emparer — avant de devenir la cité de son fils Micipsa et de son neveu Yugurtha
Autant de jalons qui, ajoutés aux vestiges légués par l’histoire antique, médiévale et turque de la ville, auront, en définitive, contribué à la configuration architecturale de l’actuelle Constantine. Constantine qui, pourtant n’a de cesse, une fois la souveraineté nationale recouvrée, de s’accommoder de nouvelles et grandioses édifications, telles l’université aux contours futuristes, la somptueuse mosquée Emir Abdelkader, le nouveau pont transrummel, la salle de spectacles «Le Zénith» et (bientôt) l'imposant hôtel Marriott.
Quand on y étudiait, vers les années 1960, ce furent ces traces là, emblématiques, que l’on cherchait. Le soir en s’éloignant de ce qui n’était alors qu’un embryon de cité universitaire au centre-ville, et avant d’errer dans les rues, on aimait se tenir sur les hauteurs du Plateau du Coudiat et contempler la ville étalée à ses pieds. Et le jour, on interrompait souvent nos cours pour aller faire une petite visite au musée des Antiquités ou pour s’engouffrer dans quelque restaurant renommé pour leur gastronomie. En emmagasinant, au passage, les impressions de la vie immédiate : la lumière crue du matin sur le quartier ex-Saint-Jean, le ciel bleu acier sur le pont de Sidi-Rached.
Et, sublimes souvenirs de jeunesse, le brouhaha convivial de «Rahbet-Ej’jmel» (l’emplacement des chameaux), le grouillement levantin de la cité médiévale (Souika) où, tout adolescent déjà, on aimait déambuler, humant avec gourmandise des senteurs ennivrantes, les yeux caressant des formes en courbes, des coupoles et des voûtes qui surplombaient les venelles et les échoppes, tel le toit du monde. Longtemps nous fûmes réveillés par une clameur à nulle autre pareille où se mêlaient les cris des marchands ambulants, le tintement des objets en cuivre, la voix du muezzin appelant à la prière... Des images et des odeurs qui ne nous ont jamais quittés. Bref, on lisait tout ce que l’on pouvait trouver sur l’histoire de la ville, dans les bibliothèques ou sur les étals des bouquinistes...
A Constantine, il fallait s’imprégner des entrailles de la ville pour mieux connaître son histoire, pour effectivement réaliser à quel point le temps est l’étoffe des grandes entreprises telles que cette ville aux mille et un contours, mille et une dimensions. Et, tant qu’à faire, pour se convaincre enfin que la maîtrise notoire de l’art culinaire n’y est pas le seul apanage, ni le fruit du hasard.
EL MOUDJAHID

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